Placements institutionnels

Dilemme entre perte inévitable et placement à risque

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Auteur
Dr. Claudia Emele
3 min lecture

Les liquidités sont pénalisées par des taux négatifs et les obligations ne rapportent pratiquement pas d’intérêts. Les caisses de pension sont donc obligées d’investir davantage dans des placements plus risqués. La capacité et la propension à prendre des risques imposent cependant des limites.

Depuis la suppression du taux plancher pour l’euro par rapport au franc suisse, les instituts financiers appliquent des taux négatifs sur les montants élevés en liquide détenus par les investisseurs institutionnels. Afin de profiter au mieux des limites imposées, de nombreux investisseurs institutionnels réduisent leurs parts en liquidités et les répartissent sur plusieurs instituts financiers. Mais cette stratégie n’est que partiellement appropriée, car les limites sont continuellement revues à la baisse. Ce système n’offre donc pas suffisamment d’efficacité aux gros investisseurs.

Quand le rendement se transforme en «taxe sur les avoirs»

Les fonds du marché monétaire ou les capitaux en espèces ne sont pas des solutions viables pour conserver des liquidités. Si les premiers sont largement diversifiés, leurs rendements implicites sont aussi négatifs. La détention d’espèces représente quant à elle un fort accroissement des charges. Le transport, l’assurance et la conservation comportent des risques et ne sont pas gratuits. La question est également de savoir s’il sera à nouveau possible de réinjecter gratuitement des liquidités thésaurisées dans le circuit électronique. L’on peut surtout s’attendre à une intervention de la Banque nationale suisse si les caisses de pension tentent de contourner la politique monétaire par la détention de liquidités à grande échelle.

Les placements liquides en monnaies étrangères ne sont que moyennement intéressants, car le risque de change supplémentaire rebute les investisseurs. Une garantie réduit les profits aux rendements qui pourraient être obtenus sur les liquidités en francs suisses, d’où un «jeu à somme nulle» en fin de compte.

Pour une caisse de pension, le problème de la détention de liquidités n’est que relatif car, en règle générale, seule une faible partie de la fortune de placement est liquide. En revanche, le fait que les taux d’intérêt négatifs soient appliqués pratiquement tout au long de la courbe des taux et qu’ils génèrent une pénurie de placements dans le domaine des titres à revenus fixes en interaction avec des écarts de crédit historiquement bas est nettement plus gênant. Même les obligations d’entreprises présentent en partie des rendements négatifs.

Rétrospectivement, cette évolution a entraîné une inflation d’actifs massive ces dernières années, également hors marchés obligataires. En bref, en raison du modèle «discounted cashflow», le rendement sans risque impacte toutes les catégories de placement qui réalisent des gains. Les primes de risque sur les actions ou l’immobilier sont aujourd’hui très basses en comparaison historique.

Les caisses de pension sont sous pression

Comme les rendements à atteindre par les caisses de pension n’ont pas baissé dans la même mesure que les rendements attendus sur les placements, de nombreuses caisses de pension doivent aujourd’hui faire face à un déficit de rendement considérable.

Les institutions de prévoyance sont légalement tenues de placer leur fortune de manière à réaliser des gains suffisants pour rémunérer les capitaux de prévoyance et couvrir leurs charges. Pour honorer cette obligation dans l’univers de marché actuel, les caisses de pension sont quasiment obligées d’exposer leurs actifs à des risques élevés. Comme les placements sans risque (obligations de la Confédération, par exemple) ne présentent pas de rendement ou des rendements nominaux négatifs, les caisses de pension auront toujours plus de difficultés à financer leurs engagements1.     

En réaction aux taux négatifs, de nombreuses caisses de pension ont ajusté leur stratégie de placement ces dernières années. Elles ont notamment réduit la part en obligations suisses en faveur d’actions, de valeurs immobilières et de titres alternatifs. De nombreuses caisses de pension ont introduit ou étendu les sous-catégories suivantes au sein des placements alternatifs: Infrastructures, Titres assurantiels, Private equity et Senior loans. Si les obligations restent la catégorie de placement la plus importante pour les caisses de pension, leur part a cependant fortement diminué sur l’ensemble des allocations de ces dernières années. En revanche, les parts de l’immobilier et des placements alternatifs ont atteint des chiffres record, et les catégories de placement illiquides connaissent notamment un renouveau. Dans une comparaison internationale, les caisses de pension suisses présentent le taux d’immobilier en portefeuille le plus élevé.

Avec une telle pression sur les rendements, les risques sont parfois sous-estimés.

Toute optimisation réussie des activités de placement d’une caisse de pension est une contribution plus que bienvenue pour atténuer le problème. Mais il convient aussi de se demander si les caisses de pension peuvent se permettre de prendre des risques supplémentaires.

Il faut en outre s’assurer de bien comprendre les mécanismes de ces catégories de placement et procéder à une mise en œuvre efficiente. Avec une telle pression sur les rendements, les risques sont parfois sous-estimés. Actuellement, pour des rendements prévisionnels plus élevés sur les obligations, de nombreux investisseurs sont prêts à accepter une qualité de crédit moindre et une illiquidité accrue comme pour les obligations à hauts rendements ou celles de pays émergents. Outre les risques généralement élevés sur ces placements, il convient de noter un chevauchement des risques avec les actions.

Le facteur coûts est décisif

Cette recherche de rendements supplémentaires a aussi pour effet secondaire de renforcer encore l’importance de l’aspect du coût de la gérance de fortune dans un contexte de faiblesse persistante des taux d’intérêt. Sur un marché où chaque point de base compte, les institutions de prévoyance accordent une attention particulière aux frais administratifs et au TER indiqué.

Mesures du côté passif

Les mesures concernant les placements ne seront malheureusement pas suffisantes pour rétablir un équilibre entre les gains et les engagements auprès de la plupart des caisses de pension. Les prestations fournies par le passé (promesses de rentes) ne peuvent pratiquement pas être modifiées. La différence entre les rendements implicites promis et les rendements à réaliser doit être comblée d’une manière ou d’une autre par les porteurs de risques dans les institutions de prévoyance, à savoir les assurés actifs et les employeurs. Les prestations futures fournies à ces personnes peuvent être modifiées. Les conseils de fondation sont appelés à réfléchir sur l’objectif de performance et le financement des prestations.

1) Les obligations sont généralement considérées comme des placements peu risqués. Suite à l’allongement de la duration dans les indices obligataires les plus courants, le risque de variation des taux d’intérêt a nettement augmenté ces dernières années. Les faibles taux d’intérêt induisent automatiquement des durations plus longues et de nombreux émetteurs ont profité de cette occasion pour lever des capitaux sur le long terme à des taux historiquement bas. Dans l’indice pondéré sur le marché, la pondération de pays fortement endettés comme les Etats-Unis ou le Japon augmente continuellement, ce qui induit un cumul de risques. Il n’est en outre pas possible de savoir immédiatement pour un indice de quelle manière les pondérations des différentes catégories de solvabilité vont évoluer. Il est ainsi possible le risque augmente alors que la part des obligations demeure inchangée.

Auteur
Dr. Claudia Emele
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